Y a-t-il un artiste dans l’usine ?

Si la pratique artistique s’immisçant dans l’unité de production peut venir, selon diverses modalités, perturber le procès de production voire réduire le taux d’exploitation de la force de travail, il est tentant de renverser les termes de cette proposition et de prendre ces conséquences pour un symptôme d’art. La pratique de la « perruque » accomplie par les travailleurs ne se situe-t-elle pas aux frontières de l’art ? Mais si tel est le cas n’est-il pas nécessaire de s’opposer à ceux qui tirent profit à lui faire passer cette frontière ? Et si les « perruques » n’étaient pas candidates à toutes les appréciations.

Afin de retrouver quelques velléités critiques, de nombreux artistes se détournent des relatives libertés permises par le monde l’art. Leurs activités se réalisent alors en fonction de contraintes extra-artistiques et non par soumission aux conventions de l’art. Ils entrent pour ce faire dans des rapports avec le monde que l’on pourrait qualifier de tactiques au sens où Michel de Certeau disait de la tactique[1] qu’elle « n’a de lieu que celui de l’autre » puisque, contrairement à la stratégie, elle doit « jouer avec le terrain qui lui est imposé tel que l’organise la loi d’une force étrangère ». Restant hétérogène aux systèmes garants de la norme, la tactique est une manière de circuler dans « un relief imposé », de s’insinuer au sein d’un « ordre établi ». Il s’agit d’une résistance de circonstance qui s’organise à partir d’un « faire avec » et développe des savoir-faire en rapport à un contexte donné. On ne s’étonnera pas dès lors que l’on veuille qualifier de tactiques, les actions de ces artistes qui désertant le monde de l’art, font désormais des lieux de production des territoires d’engagement artistique. Les actions qu’ils mènent vont de la représentation au détournement. Toutefois, les artistes ne représentent pas les mondes du travail et ne les détournent pas de la même façon selon qu’ils sont invités par l’entreprise à le faire ou qu’ils sont salariés de l’entreprise ; selon qu’ils cherchent à s’y introduire ou qu’ils l’habitent déjà. Leurs rapports tactiques sont différents et leurs points de vue se distinguent en fonction de la place et du statut qu’ils occupent dans l’entreprise. Il est donc utile de distinguer la figure de l’artiste-invité de celle du salarié-artiste.

L’artiste-invité

L’artiste-invité, n’appartenant pas à l’entreprise, doit donc négocier – ou faire négocier – son “entrée dans la place” afin de bénéficier de l’hospitalité de ses hôtes. L’artiste-invité est autorisé par la direction à entrer sur le lieu de production, ce qui le place vis-à-vis des salariés dans une position suspecte quant à la fonction particulière qui lui revient dans l’entreprise et aux connivences qu’il peut entretenir avec la direction qui l’a introduit. Position suspecte qui était déjà celle des « artistes-invités », ou plutôt « placés » dans les entreprises par le collectif britannique The Artist Placement Group[2] (1966-1989). La particularité méthodologique de ce collectif d’artistes était de négocier avec les responsables de direction, l’embauche d’artistes (ou Incidental Person[3]) dans des secteurs aussi diversifiés que l’industrie, le secteur tertiaire ou les instances gouvernementales (ministères de l’Environnement, de l’Éducation et de la Santé). L’intervention de l’artiste-invité dans l’entreprise devait entre autres lui permettre d’y mener des « enquêtes artistiques » (observer un contexte qui lui est étranger) et de soulever des questions relatives à l’organisation de la production. Les artistes-invités membres de l’APG devaient donc être placés en position de faire de l’art in situ et d’en rendre compte à l’extérieur de l’entreprise sous forme d’expositions : centralisation et compilation des archives, bilan d’activité des artistes-invités, forum de discussion… Cependant, l’artiste-invité, s’il est salarié, n’est pas dans l’entreprise un salarié comme les autres. Il est invité et rémunéré par celle-ci en tant qu’artiste, et les procédures de placement négociées par l’APG ne le soumettent à aucun objectif particulier, il est déchargé de toute logique productive dans l’entreprise. Paradoxalement, son « indépendance » se voit protéger par un contrat spécifique qui le lie à la direction. Ainsi, malgré des pratiques artistiques qui se veulent fortement engagées politiquement et socialement, les méthodes de travail instituées par l’APG préfiguraient certaines formes actuelles de résidences d’artiste en entreprise[4]. De plus, lorsque l’artiste-invité est intronisé sur le lieu du travail, il peut apparaître, aux yeux des travailleurs qui lui servent de modèle, comme un étranger dont ils ne savent ni d’où il vient ni ou il va. L’artiste-invité se trouve donc exposé à reproduire les divisions du travail traditionnelles : d’un côté l’artiste représente, et de l’autre, son modèle est représenté. Si le modèle peut bien accepter librement d’être représenté (quand bien même sa position de salarié ne lui permet pas forcément de refuser), il subordonne sa subjectivité artistique au profit de celle de l’artiste, qui en conserve le monopole exclusif. La division du travail est intégrée et naturellement reproduite par l’artiste lorsque celui-ci accepte de représenter vis-à-vis de son modèle (le travailleur isolé) son unité et sa volonté artistique, ou comme le disent Karl Marx et Friedrich Engels dans L’idéologie allemande : « La concentration exclusive du talent artistique chez quelques individualités, et corrélativement son étouffement dans la grande masse des gens, est une conséquence de la division du travail. »[5] La représentation des mondes du travail, qui résulte d’une « puissance étrangère » (l’artiste comme auteur professionnel de la représentation), n’apparaît pas aux travailleurs comme leur propre puissance conjuguée, basée sur une coopération volontaire des deux parties[6]. Il apparaît que l’engagement de l’artiste vis-à-vis de ses modèles varie en fonction de la place qu’il occupe et de la place qu’il laisse occuper à ses modèles. Avant de nous demander quelle position l’œuvre défend par rapport à l’invisibilité des producteurs, nous pouvons nous demander quelle est leur place dans ces mêmes rapports de production. Cette question vise la place et la fonction qui revient à l’artiste comme producteur d’œuvres. Cependant, il est des exceptions qui aspirent à faire exploser ces catégories entre représentant d’un coté et représenté de l’autre.

Tentative artistique de renversement des rôles, ou quand les salariés entendent s’auto-représenter.

La situation de l’artiste-invité se complique quand les modèles (les travailleurs) se « rebiffent ». Le film La Charnière[7] du groupe Médvedkine rend très bien compte de ces moments où les travailleurs expriment leurs mécontentements quant à la manière dont ils ont été représentés. Ce film sans images, est extrait de la bande-son d’un débat (ou assemblée générale) d’avril 68 qui a suivi la projection du film À bientôt j’espère… réalisé par Chris Marker et Mario Marret. À bientôt j’espère… relatait la grève menée en 1967 par les salariés de la Rhodiacéta à Besançon (branche textile du groupe Rhône-Poulenc). Projeté aux anciens grévistes de la Rhodia, il fut vigoureusement remis en cause par une partie de ce public qui ne s’y reconnaissaient pas. La Charnière s’ouvre sur l’intervention d’un travailleur dont la colère a des accents straubiens : « Je pense que si les travailleurs de la Rhodia ont vu ça et que si c’est ce que le réalisateur a vraiment voulu exprimer, alors vraiment c’est un incapable. Si vraiment il a voulu exprimer ce que ressentent les travailleurs de Rhodia et le besoin qu’ils ont, je pense que le réalisateur est un incapable. Je le dis crûment. Je le dis tel que je le pense, mais je pense plutôt vrai. Je le dis crûment aussi, que là y a simplement une exploitation des travailleurs de Rhodia, par des gens qui, paraît-il, luttent contre le capitalisme. »[8] Si tous les intervenants ne sont pas aussi radicaux, beaucoup ne s’y retrouvent pas et relèvent les manques et les failles de ce film. Mais c’est précisément en s’appuyant sur ces critiques et déceptions que les cinéastes ont pu inviter les ouvriers à porter eux même à l’écran leur propre vision des mondes qu’ils habitent, et ont pu les encourager à passer pratiquement derrière la caméra pour s’auto-représentés et ne plus seulement être représentés. Cette négociation est charnière pour les cinéastes qui cherchent aussi à renverser les rôles et les tâches assignées à chacun dans l’acte de représentation et cherchent ainsi une coopération volontaire des salariés autour d’objectifs politiques et artistiques définis en commun.

Mais faire en sorte que les représentés deviennent acteurs de leur propre représentation n’est pas simple. Le seul volontarisme des artistes ne suffit pas toujours à convaincre et à construire de part en part une oeuvre collectivement assumée. En dépit de ces tentatives d’inverser les rôles attribués à chacun, les divisions du travail persisteront dans la fabrication des films à venir. Les habitudes l’emportent et les professionnels de la représentation se verront assignés par les ouvriers de reprendre en charge les outils cinématographiques[9]. Mais les négociations sont aussi difficiles car être ouvrier-cinéaste demande du temps. Faire des films exige d’être ouvrier le jour et cinéaste la nuit et les week-ends. Toutefois, malgré ces difficultés, ce négoce annonçait les débuts fructueux d’une coopération au travers entre autres du film Classe de lutte, premier film réalisé après À bientôt j’espère… et La Charnière par le groupe de Besançon constitué d’ouvriers-cinéastes et de cinéastes-militants.

La volonté des travailleurs de la Rhodia de donner une autre version du travail s’était déjà exprimée en 1967 par la formulation d’une nouvelle revendication dans les protocoles de fin de grève. Bruno Muel (cinéaste-militant dans les groupes Medvedkine) rend compte de propos tenus par des travailleurs de la Rhodia qui exigeaient de leur patron un droit à l’ « auto-représentation » à l’usine : « lors des négociations devant aboutir à la reprise du travail, les grévistes présentèrent aux patrons une revendication inédite qui les étonna beaucoup. Ils demandaient le droit de filmer eux-mêmes, ou de faire filmer par un de leurs amis cinéastes, leurs postes de travail. Ils disaient : vous prenez le droit de réaliser des films industriels techniques ou de promotion en nous filmant sans nous demander notre avis. Vous donnez une image de notre travail qui est la vôtre, quoi de plus normal que nous puissions présenter notre version qui est différente. Bien entendu les patrons refuseront cette demande en se réfugiant derrière le secret industriel. »[10] Par cette simple demande, les travailleurs de la Rhodia révélaient un déficit démocratique au sein du monde du travail et démontraient que la représentation de son univers était subordonnée aux décisions de la direction, elles-mêmes protégées par le régime de la propriété privé des moyens de production[11]. Si désormais les téléphones portables se sont substitué aux caméras Beaulieu et permettent leur introduction plus facilement sur les lieux de travail, leurs usages ne se passent pas pour autant d’un certain savoir-faire. Rendre compte de son poste de travail, c’est-à-dire essayer de montrer ce qui se cache derrière l’image policée par les services de communication de l’entreprise, peut être un jeu (qui se pratique plus ou moins clandestinement[12]), tout autant qu’un enjeu politique.

Salarié-artiste et auto-représentation.

Le salarié-artiste fait du lieu de travail un territoire propre à l’exercice quotidien de sa pratique artistique. À la différence de l’artiste-invité, le salarié-artiste a intégré l’espace de travail par nécessité « économique ». Quand bien même ses pratiques se réclament du nom d’art, le salarié-artiste n’est pas placé sous la protection d’un statut d’artiste autorisé et reconnu par la direction de l’entreprise. Il fait de sa condition salariale et des contraintes quotidiennes qui y sont associées la matière première de sa pratique artistique. Contrairement à des observateurs extérieurs, il peut parler à partir de la place qui est la sienne et se prendre comme son propre modèle. Par cet effort d’auto-représentation qui lui permet d’objectiver sa position dans le monde du travail il accroît sa vigilance quant aux contraintes qui s’exercent sur lui. Accéder à la possibilité de s’auto-représenter au travail devient donc un enjeu à la fois pour l’artiste mais aussi pour le travailleur qui cherche à donner une autre version du travail. L’auto-représentation au travail lui permet, par exemple au travers “d’enquêtes artistiques participatives”, de témoigner directement des conditions d’existence vécue au travail.

Il en va ainsi de l’attitude du peintre Laurent Marissal qui, employé (d’avril 1997 à janvier 2002) comme agent de surveillance au Musée Gustave Moreau, utilisait « à des fins picturales le temps aliéné à la Direction des Musées de France. »[13] Laurent Marissal use de nombreux subterfuges pour déjouer le regard menaçant des caméras de vidéo surveillance. Il fait de chacun d’eux des œuvres. Avec Sieste clandestine, il réalise un autoportrait vidéo sur son lieu et pendant son temps de travail[14]. Il se dessine deux yeux ouverts qu’il colle sur ses paupières pour faire une sieste. Cette auto-représentation au travail nous donne à voir l’artiste en train de se « coltiner » le réel et de faire un apprentissage tactique de son contexte de travail. Il prend à contre-pied des injonctions autoritaires jusqu’à l’absurde en les déjouant avec ironie et en tenant le registre méthodique de ses agissements (de ses actions) furtifs. L’artiste-gardien de salle répond ainsi aux stratégies menées par l’encadrement du musée par des formes de détournement et de résistance tactique. Mais Laurent Marissal étend aussi le domaine de son œuvre à des résistances sociales moins discrètes. Au sein du même Musée, il a contribué à un redimensionnement physique des espaces (en proposant des modifications de plans du Musée) et à une requalification sociale des conditions de travail (notamment en créant une active section syndicale). Par ces différentes actions, Laurent Marissal tente, à partir de sa position de salarié-artiste, un renversement – même infime – des rapports de forces qui s’exercent sur lui. Il se sert de son lieu de travail comme d’un territoire de jeu pour mettre en place des formes de détournements qui lui appartiennent : « A  son insu, le musée rémunère une production dont il n’aura pas la jouissance. »[15] Par des positionnements et repositionnements tactiques (par exemple, sortir la caméra au bon moment et la placer au bon endroit) il cherche à rendre visible les détournements qu’il opère sur l’univers privé (ou semi-privé) de son contexte de travail. Aussi, sa pratique ne se limite-t-elle pas à des formes d’auto-représentation au travail et Laurent Marissal fait-il état de la diversité de ses « actions picturales » au Musée Gustave Moreau dans le Bilan qu’il dresse à la fin de son livre Pinxit (a peint). Partant du principe que tout travail salarié est aliénant, il poursuit désormais sa résistance artistique en tant que professeur d’Histoire de l’art. Si bien que ses élèves le suivent là où il agit l’histoire, et la performent avec lui, comme lors d’un colloque sur le travail comme utopie organisé le 23 juin 2011 au Musée des Arts et Métiers. Alors qu’il y était soumis à une double injonction de travail comme intervenant à ce colloque invité durant son temps de travail en temps que professeur d’histoire de l’art, il a présenté une action de réduction du temps de travail.

La pratique de la perruque

Le poste de travail occupé par le salarié-artiste est donc détourné de multiples façons au profit de sa production artistique. Les possibilités de déviance artistique au travail sont nombreuses. Le salarié-artiste peut voler, documenter, enregistrer, monter une section syndicale, se jouer des multiples contraintes et tenter ainsi de rendre compte de ses (micro)résistances… Une autre figure, qui offre de nombreuses similarités avec celle du salarié-artiste est celle du travailleur en perruque. Cependant, la pratique de la perruque au travail est une forme de détournement bien spécifique qui ne peut être confondu avec d’autres types de déviance.

Contrairement aux figures présentées précédemment, le travailleur en perruque ne se réclame pas, du moins en principe, de l’art. Aussi, y a-t-il quelque ambiguïté ou danger à parler dans les pages d’une revue d’art, fût-elle art 21, d’une pratique qui ne cherche en aucune façon à être légitimée ou valorisée comme artistique. Celle-ci trouve dans l’illégitimité des chemins de traverses qui lui sont propres. Mais il nous apparaît utile de discuter cette pratique pour plusieurs raisons. Tout d’abord, parce qu’elle est souvent confondue avec d’autres types de détournement au travail. Un problème de définition de cette pratique se pose. Mais aussi car la perruque fait l’objet, depuis ces dix dernières années, d’une attention particulière d’un certain monde de l’art qui l’expose et la valorise bien malgré elle en tant qu’objet d’art.

Le travail en perruque consiste dans un contexte salarial (sur le lieu et pendant le temps de travail) en la réappropriation individuelle ou collective des moyens de production disponibles (matériaux et outils de production) afin de fabriquer ou transformer un objet en dehors de la production réglementaire de l’entreprise. Cette définition — dérivée de celle de Robert Kosmann[16] — annonce de suite que la perruque n’est pas exclusivement un travail « pour soi » et qu’elle peut être commandée par ou pour d’autres (collègues, amis, membres de la famille…). Si ce travail « produit en douce » implique bien la fauche – la dernière étape de cette pratique suppose de sortir de l’entreprise l’objet de son travail[17] – elle n’est pas réductible à un simple vol, puisqu’elle est avant tout l’expression d’un savoir-faire technique souvent acquis lors de la formation professionnelle suivie par le « salarié-perruqueur ». En ce sens, la pratique de la perruque se distingue d’autres pratiques « déviantes » telles que la flânerie sur Internet, l’achat en ligne ou d’autres « pratiques parallèles » comme l’entreprise clandestine (ici le produit de l’activité réalisée dans l’entreprise est vendu) ou le travail au noir (activité rémunérée réalisée hors de l’entreprise). Réalisée sur le lieu et pendant le temps de travail, la perruque est non-marchande. Elle n’est pas vendue car elle n’est pas considérée par son producteur comme une marchandise : on ne paye pas la perruque, c’est là l’une de ses caractéristiques principales. Lorsqu’elle n’est pas réalisée « pour soi », elle est le plus souvent offerte et, dans des logiques de « don /contre-don », elle peut être échangée. Le salarié qui veut faire une pinaille[18] est tributaire du poste de travail qu’il occupe dans l’entreprise, du temps dont il pourra disposer et de son savoir-faire pratique. Il faut avoir accès aux moyens de production, c’est-à-dire savoir faire fonctionner les outils (fraiseuse, tourneuse, chalumeaux…) et savoir travailler la matière première (bois, métaux, verre…). C’est pourquoi la production d’une perruque est d’abord le fait d’ouvriers qualifiés et, dans ces conditions — celles de la division du travail —, le « renvoi d’ascenseur », par exemple entre collègues, n’est pas toujours possible. Tout poste de travail n’est pas propice à la production de bricoles et ne donne donc pas les mêmes possibilités de réciprocité. Cependant, l’usage veut que s’il n’est pas possible de rendre la pareille, la perruque sera échangée contre un « coup à boire », un paquet de cigarettes, une bouteille de vin ou de Ricard, une invitation au restaurant, etc. Le « contre-don » varie en fonction du temps passé et de la difficulté de l’ouvrage effectué par le perruqueur.

Aussi, cette pratique est souvent associée à un art du recyclage, qui exerce l’imagination et l’ingéniosité à fabriquer à partir de « tout et n’importe quoi », à produire des objets hybrides. La perruque est en effet un objet composite bricolé à partir de pièces de choix (métaux précieux ou semi-précieux, fil de brasure d’argent, pièce de dentelle, cuivre…) et/ou de déchets (chute de bois ou de métaux, pièce défectueuse…). Elle se situe au croisement entre l’objet désiré – celui que l’on se représente – et l’objet actualisable en fonction des moyens disponibles. Le salarié-perruqueur tente au mieux d’utiliser les matériaux disponibles in situ et se fait une fierté de produire un objet de A à Z en déjouant les contraintes de son poste.[19] De cette façon, le perruqueur résiste en produisant un objet fini, à partir d’un poste de travail spécialisé, parcellisé. Le bricoleur résiste par la production d’un travail « libre » et « créatif » qui s’organise dans un va-et-vient permanent entre conception (que faire ?) et fabrication (comment le faire ?). La perruque valorise les savoir-faire techniques et la créativité du bricoleur en même temps qu’elle remet en cause la légitimité de la direction de jouir seule de la propriété privée des moyens de production. La bricole peut être envisagée comme un biais par lequel le travailleur se réapproprie une partie des fruits de la situation de travail qui lui est imposé (obligation de présence et d’activité). Elle est une forme, parmi d’autres, de ce que Karl Marx donne pour être de la réappropriation d’un « surtravail non payé »[20], non rémunéré. Même si ce grappillage ne représente qu’une infime réappropriation par rapport aux richesses produites et à la plus-value dégagée par l’entreprise, en faisant de la perruque, on cherche à récupérer un petit peu de ce qui nous a été volé. Et c’est sans aucun doute pour affirmer ce temps libéré et ces moyens réappropriés que certains perruqueurs présentent fièrement leurs objets en indiquant le temps de travail que cela leur a demandé : « Ce sabre [réalisé en perruque] m’a demandé une semaine de travail ! »[21].

Sabre
Sabre d’entraînement pour enfant pratiquant le Vo Vietnam (art martial), Alu, laiton, bois et acier pour la lame. Manche : pied de lit Castorama. Anneau de levage : récupération. Entièrement fait et fini à la cisaille et lime. Fabriqué par un perruqueur anonyme dans un atelier de maintenance d’une compagnie aérienne, 2006. (5 jours de travail environ).

Cependant, la perruque est pratiquée de façon plus ou moins clandestine car sa tolérance, comme sa répression varient selon les entreprises et en fonction de leurs règlements intérieurs et des règles tacites ou explicites appliquées dans l’entreprise. Cette pratique étant la plupart du temps considérée comme illégale, elle expose celui qui s’y adonne à des sanctions patronales, pouvant aller jusqu’au licenciement[22]. Et si elle n’est pas toujours réprimée par le patronat, il serait inexact de percevoir cette pratique comme un simple vecteur favorisant la régulation du travail : les tentatives de récupération patronale de ces pratiques se font faute de ne pouvoir les empêcher. Il peut arriver alors que les employeurs tolèrent la bousille dans le cadre d’un contrat implicite qui vise à accorder au travailleur une bienveillance en contrepartie d’un travail correctement exécuté pour le compte de l’entreprise. Mais cette tolérance reste précaire et révocable : « Elle ne fait aucunement partie des droits acquis bénéficiant d’une permanence reconnue. »[23]. La perruque est interdite par le patronat dans la plupart des entreprises car elle est une pratique de réappropriation directe des moyens de production sur le temps de travail[24].

Cette pratique est largement répandue dans les mondes du travail salarié (casse automobile, atelier de maintenance ou de couture…) même si on la retrouve le plus souvent associée aux modes de production industrielle. Toutefois, le perfectionnement et l’automatisation des machines rendent la perruque de moins en moins praticable. Si la production d’une perruque est encore parfois possible dans le cadre de certains ateliers de production, la spécialisation des outils modifie considérablement les conditions de l’activité de production d’une perruque. En effet, il est courant dans les ateliers de production contemporains que les machines (ou machines-outils à commande numérique) soient préprogrammées pour des tâches de production définies par la direction, empêchant l’opérateur de se servir des machines pour d’autres activités. Bien que de nouvelles dispositions tactiques prennent la place, le bricolage à l’usine est appelé à disparaître sous ses anciennes formes. Désormais, c’est donc l’opérateur qui la main sur la commande numérique qui est placé en situation de pouvoir détourner et perruquer.

L’objet-perruque

La production d’une perruque consiste donc à fabriquer ou transformer un objet. En ce sens, elle est avant tout une production utilitaire, qui sert à améliorer le quotidien du perruqueur ou celui de son entourage proche : outillages (règles, équerres, rapporteurs, compas, marteaux…), équipement domestique (couverts, couteaux, hachoirs, pelles, gamelles, batteries de casseroles, barbecues, lampes, cendriers, porte-savons aimantés, porte-manteaux…).

Collection photos Robert Kosmann

  • Manifestant et son fils fabriqués au département 37 chez Renault à St Ouen, récupération de boulons assemblés par soudage. Bras plié au chalumeau. Ecrou 30 mm pour la tête. Environ 2 h de travail.
  • Cendrier, département 14 chez Renault à Boulogne Billancourt, année 1973, récupération d’un moule de piston sur lequel on a soudé un fond et deux réceptacles de cigarettes en tôle pour servir de cendrier. Environ une demie heure de travail.
  • Réservoir fabriqué chez Renault à Billancourt, (sans date), autour des années 1960, fabriqué en tôle avec un galbe pour pouvoir être porté à la ceinture sous une veste. On le remplissait d’huile de boîte moteur qui était chère à l’époque, « empruntée » à la Régie Renault.

Mais la perruque peut être aussi « inutile », « un art de faire pour faire », ou plus exactement d’une utilité symbolique, et proposer ainsi des objets de types sculpturaux : personnages manifestants fabriqués à partir de vis et de boulons, brouette miniature, machine outils miniaturisée[25]… Ce n’est qu’à partir des années 1970, période qui a vu naître la distribution et la consommation de masse (au travers notamment de l’émergence de la grande distribution), que la perruque apparaît plus en réaction à l’uniformité de la production et propose ainsi des objets plus « créatifs » ou « décoratifs » : presse-papiers, jeu d’échecs, casse-tête, solitaire, bougeoirs, porte-clefs, plumiers, pendentifs, dés, godemichés, boîte à musique électroniques, antennes de télévision, décodeurs pirates de Canal+, amplis hi-fi,… On trouve aussi, selon de la fantasmagorie – révolutionnaire (?) – propres à chacun, un attachement à la production d’armes : lance-pierres accompagnés de billes d’acier, coups de poing américain, pistolets, arbalètes, sabres, hallebardes…

Ainsi, le terme de perruque, qui recouvre aussi bien l’activité de production de cet objet que l’objet lui-même, peut être envisagé comme un objet processuel. En tant que tel, son exposition devient problématique. L’objet-perruque exposé, coupé de son processus, de son contexte particulier de production, de sa fonction, de son histoire, de son producteur et des règles du jeu qui ont motivé sa production est dépaysé, décontextualisé. Bien que l’objet ne soit pas considéré par son producteur comme une marchandise, l’objet peut se voir réifié, marchandisé comme objet d’art.

Selon Etienne de Banville, la perruque doit être travaillée et doit faire l’objet d’une « transformation de la matière ou d’un apport personnel de la valeur ajoutée »[26] et selon Robert Kosmann elle « peut aussi représenter une création artistique : elle peut être, parfois, unique, ludique et créative. »[27] Seulement, la plus-value ajoutée par le savoir-faire qui fait la fierté de tout perruqueur qui se respecte peut devenir un critère spéculatif pour les collectionneurs d’objet « unique ». La possible réification — ou marchandisation — de cette pratique se situe exactement là où elle trouve toute sa richesse. Les nombreuses spécificités de l’objet perruqué (hybridité, unicité due à sa production hors norme, créativité, ingéniosité…) peuvent lui conférer une attention incertaine. Ces objets peuvent alors être transformés en des objets d’« art primitif » comme les masques africains ont pu l’être en leur temps. Il en serait fini de ce que Haraszti appelle la Grande Perruque, « car les amateurs de folklore risquent de traiter la perruque comme un art décoratif populaire. Ils ne se sont pas encore jetés dessus mais, le jour où ils le feront, ce ne sera plus l’âge de la perruque interdite, ce sera l’ère de la perruque reproduite, commercialisée, administrée. »[28]

Quand la perruque s’expose.

Cette muséification en devenir interroge à plusieurs titres les relations ambiguës que peuvent entretenir art et perruque car, comme on l’a vu, la perruque n’est pas produite pour être exposée. L’exposition de perruques réalisée à la demande d’Étienne de Banville en septembre 1996 à l’écomusée du Château des Bruneaux (dans la ville de Firminy proche de Saint-Etienne) a d’ailleurs d’abord été menacée d’interdiction par la présence du commissaire de police de la ville et d’un huissier de justice — qui avait pour objectif (suite à une plainte déposée par le patronat local : l’Union Patronale des Industriels de la Loire) de dresser, le jour du vernissage, un inventaire détaillé des objets exposés, de les décrire, d’en préciser les auteurs et l’origine de l’entreprise[29]. Dix ans plus tard (le 24 novembre 2006 à la Bourse du Travail de Saint-Etienne) la même exposition est inaugurée cette fois-ci par le maire et les édiles de la ville. Cette reconnaissance institutionnelle — que l’on peut attribuer à « une partie de l’intelligentsia inquiète de la disparition d’une part de savoir-faire ouvrier en France »[30] — a pu faire l’effet d’un faire-part annonçant aux perruqueurs les obsèques programmées d’un certain type de perruque ouvrière. Il faut croire que c’est dans sa phase processuelle que la perruque fait sens bien plus que dans sa phase instituée.

Dans son chapitre consacré à la perruque (une pratique de détournement : la perruque), Michel de Certeau s’interroge sur la place à partir de laquelle nous étudions cette pratique. Il observe « une coupure entre le temps des solidarités (celui de la docilité et de la gratitude de l’enquêteur envers ses hôtes) et le temps de la rédaction qui dévoilent les alliances institutionnelles (scientifiques, sociales) et le profit (intellectuel, professionnel, financier, etc.) dont cette hospitalité est objectivement le moyen. Les Bororos descendent lentement dans leur mort collective, et Lévi-Strauss entre à l’Académie »[31]. En paraphrasant Michel de Certeau, on pourrait sans doute voir, dans la situation de la représentation artistique des travailleurs de l’industrie en France quelque chose de comparable. Les ouvriers d’une certaine industrie et leurs cultures associées descendent lentement dans leur mort collective, et Jean-Luc Moulène entre à Beaubourg avec leurs objets de grève représentés.

Objets

En effet, s’il faut saluer ici le travail de collecte et d’archive d’objets de grève — ou « perruque de grève »[32] — réalisé par Jean-Luc Moulène et la donation qu’il en fait aux Archives Nationales du Monde du Travail[33], la représentation artistique de ces objets nous semble pour le moins problématique. Et l’artiste, acteur – autoproclamé ( ?) – de cette redéfinition d’« objets de grève » en « objets d’art », ne s’y trompe pas lorsqu’il dit : « Il y a là une ambiguïté. Dans mon esprit, cette œuvre est un lieu de conflit, pas un lieu pacifié. Beaubourg achète les photographies, ce qui représente l’assomption en art d’un objet manifeste. D’une certaine manière, le contenu subversif de l’objet de grève est ainsi apaisé. »[34] Il n’y a pas que dans l’esprit de l’artiste que cette œuvre est un lieu de conflit car elle ne peut que distendre encore un peu plus les liens d’hospitalités et de solidarités qui pouvaient exister entre l’« artiste-archiviste » et les travailleurs grévistes producteurs collectifs de ces « perruques de grève » désormais transfigurés en « objets d’art » et un peu aussi en objets de spéculation. Et en l’occurrence la culbute est quand même sévère. La photographie d’un objet de grève — y compris celle du paquet de Gauloise estampillé CGT qui était offert en 1982 avec un bon de soutien à cinq francs et sur lequel était clairement stipulé DÉGUSTATION-VENTE INTERDITE — est vendue par la Galerie Chantal Crousel[35] (qui représente l’artiste) 7500 euros TTC, ce qui confère aux vingt-quatre photographies d’ « objets de grèves » une valeur commerciale de 180 000 euros TTC et accorde à la photographie du paquet de Gauloise produit par les travailleurs en lutte de la Seita une sacré plus-value. « Surtout gardez bien vos perruques de grèves, ne les jetez pas, elles vont valoir de l’argent ! »[36] voilà l’avertissement – plein d’ironie – lancé par un ancien perruqueur de chez Renault Saint-Ouen aux anciens de chez Alstom Saint-Ouen. C’est dans cette schizophrénie que nous place cette requalification des « Perruques de grève » en « objets d’art ». Pour qui roule l’artiste et quelle réputation — a priori ou a posteriori — laisse-t-il de son passage ? Est-ce à dire que l’artiste pour faire œuvre — comme le curateur, l’anthropologue ou le sociologue… — se trouve toujours exposé à trahir l’hospitalité de ses hôtes et à accroître toujours plus les divisions du travail entre représentants d’un coté et représentés de l’autre ?

Outre sa possible réification, la perruque peut trouver ses espaces propres qui favoriseraient des échanges autres que marchands. L’émancipation au sens pragmatique supposerait de constituer des institutions qui soient adaptés à une telle pratique. Institutions qui redonneraient aux travailleurs les moyens de se rassembler autour de « bourses de travail parallèle » afin de partager les expériences de détournement et de socialiser les produits d’une réappropriation directe des moyens de productions.

Il convient que tous les blagueurs qui voudraient exposer une perruque sachent que la bricole n’est pas un Anti-ready-made ou un « self-made » exposé volontairement dans le cadre performatif de l’art, ni même ce que l’artiste Simon Starling appelle « work, made-ready ». Et les perruqueurs ne cherchent pas à insuffler à nouveau dans le monde de l’art ce « savoir-faire » que Fountain de Marcel Duchamp avait tenté de faire disparaître. Après avoir su sacraliser un urinoir, ils seraient bien capables de marchandiser une perruque…

 

Jan Middelbos

Dossier « Y a-t-il un artiste dans l’usine ? », Art21, n°32, hiver 2011-2012.

[1] A partir de l’opposition classique entre stratégies et tactiques, Michel de Certeau appelle tactique  « […] l’action calculée que détermine l’absence d’un propre. Alors aucune délimitation de l’extériorité ne lui fournit la condition d’une autonomie. La tactique n’a de lieu que celui de l’autre. Aussi doit-elle jouer avec le terrain qui lui est imposé tel que l’organise la loi d’une force étrangère. […] Elle est mouvement à l’intérieur du champ de vision de l’ennemi et dans l’espace contrôlé par lui. […] Il lui faut utiliser, vigilante, les failles que les conjonctures particulières, ouvrent dans la surveillance du pouvoir propriétaire. Elle y braconne. Elle y crée des surprises. Il lui est possible d’être là où on ne l’attend pas. Elle est ruse. » Michel de Certeau, L’Invention du quotidien tome 1 : arts de faire, Paris, Gallimard, 1990, p. 59-60.

[2] The Artist Placement Group (APG) est fondé en 1966 à Londres par l’artiste performer Barbara Steveni en collaboration avec John Latham et plusieurs autres artistes dont Barry Flanagan, David Hall, Anna Ridley et Jeffrey Shaw.

[3] L’adjectif « incident », proposé par John Latham, renvoie à ce qui interrompt le cours normal d’une chose, à ce qui crée l’accident et permet de questionner la fonction de l’artiste. En tant qu’adjectif, le verbe « incidenter » signifie chicaner quelqu’un, lui faire des objections.

[4] Cf. Cédric Schönwald, « Les Ateliers de Rennes, La fabrique de l’entente », art 21 n°18, été 2008, p. 32-39.

[5] « A supposer même que dans certaines conditions sociales chaque individu soit un excellent peintre, cela n’exclurait en aucune façon que chacun fût un peintre original, si bien que, là aussi, la distinction entre travail « humain » et travail « unique » aboutisse à un pur non-sens. Dans une organisation communiste de la société, ce qui sera supprimé en tout état de cause, ce sont les barrières locales et nationales, produits de la division du travail, dans lesquelles l’artiste est enfermé, tandis que l’individu ne sera plus enfermé dans les limites d’un art déterminé, limites qui font qu’il y a des peintres, des sculpteurs, etc., qui ne sont que cela, et le nom à lui seul exprime suffisamment la limitation des possibilités d’activité de cet individu et sa dépendance par rapport à la division du travail. Dans une société communiste, il n’y aura plus de peintres, mais tout au plus des gens qui, entre autres choses, feront de la peinture. » Karl Marx et Friedrich Engels, L’idéologie allemande, Paris, Éditions Sociales,1976, p. 397.

[6] « La puissance sociale, c’est-à-dire la force productive décuplée qui naît de la coopération des divers individus conditionnés par la division du travail, n’apparaît pas à ces individus comme leur propre puissance conjuguée, parce que cette coopération elle-même n’est pas volontaire mais naturelle ; elle leur apparaît au contraire comme une puissance étrangère, située en dehors d’eux dont ils ne savent ni d’où elle vient, ni où elle va, qu’ils ne peuvent donc plus dominer et qui, à l’inverse, parcourt maintenant une série particulière de phases et de stades de développement, si indépendante de la volonté, qu’elle dirige en vérité cette volonté et cette marche de l’humanité. » Karl Marx, Le capital, livre I, Paris, Garnier-Flammarion, 1969, p. 266-267.

[7] Antoine Bonfanti et Pol Cèbe, La Charnière, 1968, 12 min. 20, disponible sur le site : https://jan-m.org/actualite/charniere/son/charniere.mov.

[8] Op.cit.

[9] En témoigne cette confession de Bruno Muel qui doute de son rôle et des rôles de chacun dans le processus de fabrication du film Week-end à Sochaux tourné en 1971 : « Mon plus gros problème était de filmer les scènes de fiction. Je me disais : “Mais qu’est-ce que tu vas faire là. Qui est le réalisateur ? C’est toi ou c’est eux ?” Il faut remarquer que la première utopie des groupes Medvedkine était passée à la trappe. Ils se foutaient complètement de la technique, tenir la caméra ne les intéressaient pas du tout, nous étions là pour ça. Eux, ce qu’ils voulaient c’étaient faire passer leurs idées, leur point de vue. » Bruno Muel, « Les riches heures du groupe Medvedkine (Besançon-Sochaux, 1967-1974) », in Images documentaires n°37/38, Parole ouvrière, Paris, juin 2000, p. 29-30.

[10] Bruno Muel, Ibid., p.18.

[11] Les processus de « délocalisation » et de « relocalisation » actuellement en cours, dans le cadre de la division internationale du travail, permettent aussi aux dirigeants d’entreprise de cacher les conditions de production. Ce qui revient à tenter de briser encore un peu plus les liens d’ interdépendance et de solidarité (ce que Durkheim nomme les « solidarités organique ») qui peuvent exister entre les producteurs et les « usagers-consommateurs ».

[12] La représentation des mondes du travail par les salariés eux-mêmes, comme la représentation des conditions de vie des détenus en prison, ne semble pouvoir se réaliser que de façon clandestine. On pense ici aux films réalisés clandestinement et avec des caméras introduites illégalement dans la prison de Fleury-Mérogis par les détenus, afin de témoigner et de dénoncer leurs conditions de vie carcérale. « La prison de Fleury-Mérogis filmée clandestinement par des détenus », vidéo mise en ligne le 18 décembre 2008 et disponible sur le site du journal Le Monde : http://www.lemonde.fr/societe/video/2008/12/18/la-prison-de-fleury-merogis-filmee-clandestinement-par-des-detenus_1132581_3224.html, consulté le 7 mars 2010.

[13] Laurent Marissal, Pinxit, Rennes, Incertain Sens, 2005, p. 41.

[14] Laurent Marissal, Sieste clandestine, site personnel de l’artiste : http://painterman.over-blog.com.

[15] Laurent Marissal, Pinxit, Rennes, Incertain Sens, 2005, p. 1.

[16] Robert Kosmann, « Perruque et bricolage ouvrier », in Florence Odin, Christian Thuderoz (dir.), Des mondes bricolés ? Arts et sciences à l’épreuve de la notion de bricolage, PPUR, coll. « METIS LyonTech », 2010, p. 160.

[17] Bien que l’on trouve des perruques de grande taille (Étienne de Banville fait ainsi état de la fabrication en perruque d’un deux mâts de dix-huit mètres de long équipé de cabines) celles-ci restent exceptionnelles car elles nécessitent des complicités auprès des gardes, des chauffeurs, des collègues, etc. Elles sont le plus souvent modestes et de petites tailles, pour pouvoir être sorties plus facilement de l’entreprise. Étienne de Banville, L’usine en douce, Le travail en « perruque », Paris, L’harmattan, 2001, p. 59.

[18] Le terme perruque est le terme général le plus employé. Si son étymologie est incertaine, cette expression argotique a vraisemblablement un lien avec l’idée de postiche, de fabrication d’un faux, de trompe l’œil. Elle pourrait encore être liée aux perruques autrefois réalisées par les coiffeurs, entre deux rendez-vous, à partir des cheveux coupés aux clients. Les termes varient en fonction de l’entreprise, de la région ou du pays : bousille chez les verriers, pinaille à Belfort, bricole au Creusot et en Bretagne, foreign [l’étranger] dans les usines ferroviaires de la ville de Derby en Grande-Bretagne, etc.

[19] Miklós Haraszti distingue deux écoles de perruqueurs : « Sur ce point, il y a d’un côté ceux qui ne regrettent pas de voir leur noble produit laisser transparaître à l’évidence sa vile origine, et de l’autre ceux qui tiennent fermement à une « finition » sans défaut. » Miklós Haraszti, Salaire aux pièces, Ouvrier dans les pays de l’Est, Paris, Seuil, 1976, p. 141-142.

[20] « Le temps d’exploitation se divise en deux périodes. Pendant l’une, le fonctionnement de la force ne produit qu’un équivalent de son prix; pendant l’autre, il est gratuit et rapporte, par conséquent, au capitaliste une valeur pour laquelle il n’a donné aucun équivalent, qui ne lui coûte rien. En ce sens, le surtravail, dont il tire la plus-value, peut être nommé du travail non payé. […] Toute plus-value, qu’elle qu’en soit la forme particulière, profit, intérêt, rente, etc., est en substance la matérialisation d’un travail non payé. Tout le secret de la faculté prolifique du capital, est dans ce simple fait qu’il dispose d’une certaine somme de travail d’autrui qu’il ne paye pas. » Karl Marx, Le capital, livre I, Paris, Garnier-Flammarion, 1969, p. 383.

[21] Perruqueur et professionnel dans un atelier de maintenance d’une compagnie aérienne, entretien réalisé dans le cadre de la Bourse de Travail Parallèle, le 24 octobre 2006.

[22] Voir le témoignage de Monsieur D licencié pour avoir fabriqué un barbecue pendant le temps de travail, in Marie de Banville et Bruno Dumont, Perruque, bricole et compagnie,…, document audiovisuel VHS, Solimane Production, 1998.

[23] Étienne de Banville, L’usine en douce, Le travail en « perruque », Paris, L’harmattan, 2001, p. 81.

[24] La déclaration de Xavier Boniteau (président de l’Union Patronale des Industriels de la Loire) permet de clarifier l’expression de « perruque autorisée » qui apparaît alors comme un oxymore : à la question posée par Marie de Banville : « Quelle est la tolérance au niveau de la perruque ? » le responsable patronal répond qu’il n’y a pas de marge de tolérance : « à partir du moment où un employé détourne soit de la matière première soit du temps – qui lui est payé par l’entreprise – à son profit pour la fabrication d’un objet quel qu’il soit, il s’agit d’un vol. Dès lors qu’il y a un accord tacite, il n’y a plus de perruque. S’il y a accord tacite, il n’y a plus de vol. Que se soit véritablement exprimé ou simplement tacite, c’est plus de la perruque. » Propos relevés par Marie de Banville et Bruno Dumont, Perruque, bricole et compagnie,…, document audiovisuel VHS, Solimane Production, 1998.

[25] Ces machines-outils miniaturisées sont souvent fabriquées dans le cadre de ce que l’on appelle une « perruque de retraite » ou « perruque de conduite ». Elle est offerte au collègue lors de son pot de départ.

[26] Étienne de Banville, L’usine en douce, Le travail en « perruque », Paris, L’harmattan, 2001, p. 9.

[27] Robert Kosmann, « Perruque et bricolage ouvrier », in Florence Odin, Christian Thuderoz (dir.), Des mondes bricolés ? Arts et sciences à l’épreuve de la notion de bricolage, PPUR, coll. « METIS LyonTech », 2010, p. 165.

[28] Miklós Haraszti, Salaire aux pièces, Ouvrier dans les pays de l’Est, Paris, Seuil, 1976, p. 144-145.

[29] Étienne de Banville dans L’usine en douce, Le travail en « perruque », Paris, L’harmattan, 2001, p. 90.

[30] Robert Kosmann, « Perruque et bricolage ouvrier », in Florence Odin, Christian Thuderoz (dir.), Des mondes bricolés ? Arts et sciences à l’épreuve de la notion de bricolage, PPUR, coll. « METIS LyonTech », 2010, p. 166.

[31] Michel de Certeau, L’Invention du quotidien tome 1 : arts de faire, Paris, Gallimard, 1990, p. 44.

[32] Les objets de grève sont produits en dehors de la production réglementaire de l’entreprise, tout comme les perruques mais à cette différence prés – et elle est de taille – qu’ils ont étaient produit en contexte de grève, c’est-à-dire pendant un temps – celui de l’occupation – ou les travailleurs décident eux-mêmes de la production de l’entreprise. Ces objets servent essentiellement à populariser et financer la grève.

[33] Quarante objets de grève sont conservés aux Archives Nationales du Monde du Travail implanté à Roubaix. Ils ont d’abord été déposés par Jean-Luc Moulène avant que ce dépôt ne soit transformé en don en 2006.

[34] Citation reprise dans l’article de Jean-Charles Leyris, « Objets de grève, un patrimoine militant. », In Situ, revue des patrimoines [en ligne], 2007, n°8 [consulté le 14/08/2011].

[35] La Pantinoise. Paquet de cigarettes rouge. France, usine des tabacs de Pantin (Seine-Saint-Denis), Seita, 1982-1983. Courtesy galerie Chantal Crousel, Paris © Jean-Luc Moulène – ADAGP, 1999.

[36] Propos recueillis lors du débat, avec les anciens ouvriers d’Alstom Saint-Ouen, qui succéda à la projection du film Le dos au mur de Jean-Pierre Thorn, le vendredi 4 décembre 2009 à la Médiathèque Persepolis de Saint-Ouen.

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